Trump, la gauche et le sermon de la Knesset

Il ne vous aura sans doute pas échappé que Donald Trump, auréolé de sa gloire planétaire de faiseur de paix, tout à son autopromotion et à sa course après le Prix Nobel, est allé se pavaner à la Knesset devant son ami Benyamin Netanyahou. Les journaux s’en sont largement fait l’écho. Il faut reconnaître que le clown était à la hauteur.

Le détail du discours vous sera, lui, par contre, sans doute passé inaperçu, les mêmes journaux ne s’étant pas attardés sur les paroles de l’Illuminé. Pourtant, pour notre pays qui ose encore se dire laïque, il y a matière à s’étrangler. À moins que la cause ne soit entendue, que nous ayons finalement régressé et en soyons revenus à la grandeur de la Fille aînée de l’Église. En tout cas, personne ne semble s’être étonné du mélange des genres.

Or, dès les premiers mots, l’Extasié ouvre le sermon du dimanche (selon une rapide transcription en français) : « Nous sommes rassemblés en ce jour de joie profonde, d’espoir grandissant, de foi renouvelée et, surtout, un jour pour rendre grâce au Dieu tout-puissant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. […] Et après tant d’années de guerre incessante et de danger sans fin, aujourd’hui les cieux sont calmes, les canons sont silencieux, les sirènes sont silencieuses, et le soleil se lève sur une terre sainte qui est enfin en paix, une terre et une région qui vivront, si Dieu le veut, dans la paix pour toute l’éternité. Ce n’est pas seulement la fin d’une guerre, c’est la fin d’une ère de terreur et de mort, et le début d’une ère de foi, d’espérance et de Dieu. »

D’accord, il ne tiendra pas la distance durant toute l’heure du discours, ce qui prouve qu’il est président et non pas prédicateur. Il retrouvera cependant son élan mystique quelques minutes avant la fin : « Le Dieu qui habitait autrefois parmi son Peuple dans cette Ville nous interpelle encore, selon les paroles de l’Écriture : « Détournez-vous du mal et faites le bien pour chercher la paix et la poursuivre. » Ainsi, il murmure toujours la vérité dans les collines, les buttes et les vallées de sa magnifique création. Et il continue d’écrire l’espoir dans le cœur de ses enfants partout dans le monde. » Et d’enchaîner, s’adressant à son auditoire : « Vous voulez la promesse de Sion. Vous voulez la promesse du succès, de l’espoir, de l’amour et de Dieu. Et le peuple américain n’a jamais perdu foi dans la promesse d’un avenir grand et béni pour nous tous. »

Il conclura non moins divinement son discours sur un : « Merci beaucoup. Que Dieu vous bénisse. Que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique, et que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Merci à tous. Bonne chance. Merci beaucoup. Merci. »

Vous allez me dire : « bon d’accord, mais c’était du Trump ». Certes, c’était du Trump. Mais l’avantage avec lui, c’est que justement n’étant jamais dans la demi-mesure, pour ne pas dire qu’il est toujours dans la caricature, il révèle le pays profond. Les États-Unis ont été créés par des colons protestants, ils le sont toujours, protestants, même si ouverts à d’autres croyances. Ils n’ont jamais été laïques : quel que soit le dieu, In God we trust. Oui, quel que soit le dieu, a minima In God we trust. Ils sont pleinement pour la liberté religieuse mais… il est hors de question de ne pas croire en un dieu, en un dieu quelconque mais en un dieu. Joe Biden va à l’église (catholique) et Barack Obama pratique le protestantisme. Quand bien même démocrates, ils n’auraient jamais été élus sinon. Le jour où sera portée à la fonction présidentielle une personne se revendiquant athée n’est pas encore venu.

Ils sont pour la liberté religieuse donc, quand Marx, lui, était – faut-il le rappeler ?, mais par les temps qui courent, il est probablement bon de le rappeler – pour se libérer des religions (« L’homme ne fut donc pas émancipé de la religion, regrettait-il, il reçut la liberté religieuse. ») Que personne dans notre pays laïque n’ait souligné l’incongruité trumpiste est déjà en soi alarmant, mais que personne, à gauche, héritière, même lointaine, du penseur politique, n’ait bronché est carrément terrifiant.

Mais la gauche française n’en est plus là. Il y a belle lurette qu’elle défend la liberté de religion comme le patronat la liberté d’entreprendre, que la liberté de conscience de 1905 est passée à la trappe au bénéfice du droit à la libre expression religieuse. Il ne s’agit plus de défendre un espace où croyants et athées peuvent cohabiter en bonne intelligence et sans se sentir agresser l’un par l’autre. Si les athées sont gênés aux entournures par des signes religieux trop ostentatoires, ils n’ont qu’à enfiler un maillot arborant un voyant Fuck your God ! C’est ainsi au pays de la liberté. Chacun fait ce qu’il veut et merde à l’autre ! On se demande bien pourquoi la gauche s’est battue pendant des décennies contre la liberté de licenciement ou la liberté de payer son employé selon son bon vouloir… ou pour quelque chose qui ressemblerait à du collectif…

Que la gauche française puisse aujourd’hui trahir celle d’hier au point de préférer la liberté religieuse au projet de s’émanciper des religions, ou pour le moins à la liberté de conscience, est signe, il est vrai, d’une régression inquiétante, mais surtout d’une américanisation galopante. Cette gauche ne pense plus par elle-même mais comme appendice de la pensée réactionnaire américaine, comme simple agent de la globalisation. Certains trotskystes anglo-saxons n’y sont pas pour rien, c’est entendu. Mais l’intelligentsia contemporaine de la gauche française a laissé faire. Pire, elle a suivi, sans rien dire, préférant l’Internationale à la laïcité. Cependant, quand l’Internationale épouse la globalisation libérale, il devient urgent, pour ne pas dire vital de réagir ! Ou c’est la mort cérébrale de la gauche qui se profile à l’horizon. S’il n’est pas déjà trop tard.